Elle est grosse mais elle est drôle, la petite

Si on avait dit à la petite fille au bord de la piscine, enveloppée dans sa serviette de bain, le ventre bien caché sous sa serviette de bain serrée depuis le nombril jusqu’aux genoux, si on avait dit à la petite fille qui observe ses mollets comme on voudrait écraser une limace, qui regarde ses bras, ses cuisses, ses putain de cuisses, ses grosses cuisses, ses grosses cuisses qui se touchent à l’endroit où il ne faudrait pas, à l’endroit où rien ne devrait effleurer, où rien ne devrait se toucher là, si on avait dit à la petite fille qui regarde son reflet flasque dans le chlore et qui voudrait dénouer la serviette qui voudrait sauter, qui voudrait faire une bombe, les genoux sur le torse, les talons sous les fesses, si on avait dit à la petite fille qui ne porte pas de short en cours de sport, qui n’ose pas se mettre en short durant l’été mais qui le fait quand même, des shorts longs jusqu’aux genoux, qui le fait quand même parce qu’il fait trente-cinq degrés, que c’est la Provence, qu’il fait sec, qu’il fait chaud, parce qu’elle ne veut pas se faire remarquer, parce qu’elle connait l’équilibre entre se cacher et montrer un peu pour ne pas se faire remarquer, parce que pendant toutes les vacances on traverse le village à vélo, on ne fait que ça, traverser le village à vélo, du skatepark au lac qui n’est qu’un étang, un sale étang asséché, si on avait dit à la petite fille devenue adulte qui ne met toujours pas de short parce que ses cuisses, ses mollets, ses gros mollets, ses gros mollets sans démarcation de mollets, ses chevilles épaisses, ses chevilles épaisses sans os saillant comme les autres filles aux petites chevilles, aux fines malléoles, si fines au-dessus des baskets, si on avait dit à cette petite fille qui sautait quand même dans la piscine quand les autres enfants adultes étaient occupés, qui expirait tout l’air de ses poumons par le nez pour rester au fond, longtemps, le plus longtemps possible, qui ne faisait pas de bruit, ni dans la piscine ni ailleurs, qui se faisait oublier, ou des bruits en forme de jeu, des mots des phrases pour faire rire, pour détourner le regard, pour faire dire, Elle est grosse mais elle est drôle la petite, si on lui avait dit qu’un jour elle animerait une table ronde autour de Comment représenter l’intime au cinéma, Comment filmer le corps, les corps entre eux, elle aurait dit Elle est folle la petite mais elle est cool, et elle aurait peut-être enlevé sa serviette de bain, elle aurait vu que ses mollets étaient dans la continuité de ses genoux, que ses cuisses étaient dans la lignée de ses hanches, parfaites, parfaitement alignées, douces et bronzées, elle aurait peut-être fini par sauter, fini par faire du bruit, crier, rire fort, elle aurait dit Regardez-moi, Regardez-moi sauter, plonger, nager, elle aurait Regardez-moi tout court, et elle aurait sauté bien avant dans la piscine. Parce qu’elle était parfaite depuis le début.

On se donne rdv mardi 18 mars au @cinemaleselect à 20h30 pour la projection du documentaire Sex is Comedy d’ @edithchapin_paintedcat, suivi d’un talk sur le métier de coordinatrice d’intimité et les enjeux de la mise en scène du sexe à l’écran.

Soirée organisée par @lessimonespaysbasque

Merci à mes invitées :
@emiliearthapignet
@amelieporteu_dlm
@edithchapin_paintedcat
Sophie Bedouck

Elisa Routa

Journaliste et écrivaine, Elisa Routa publie depuis plus de 12 ans ses portraits, essais et récits d'aventures dans des magazines francophones et internationaux. Elle sort son premier recueil de chroniques en 2020 aux éditions Tellement. 

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