Compotes et oeuf mollet
{Jour 9}
Après 9 jours d’isolement, j’en suis venue à une conclusion relativement perspicace : il faut être sacrément intelligent pour se faire, seul, la conversation.
Livrée à moi-même, je deviens plus amorphe qu’une limace qui gazouille dans sa compote. Habituellement, j’écris pour savoir ce que je pense. Aujourd’hui, j’écris simplement pour savoir penser. L’immobilisme de mon corps semble inspirer l’engourdissement de mon cerveau qui manque cruellement de personnalité. Je perds un peu plus chaque jour en répartie et ignore où j’ai foutu ma vivacité d’esprit. Ces derniers atouts m’étant déjà limités, je tiens à les préserver comme le dernier mouchoir humide oublié dans une poche de pantalon.
J’en suis désormais convaincue, la richesse intérieure est le fruit d’une conversation avec l’extérieur. Sous forme de contemplation ou d’écoute, cette stimulation psychique ne peut avoir lieu qu’après s’être ouvert à autre chose que soi-même. L’équation est donc la suivante : si la réclusion implique l’absence quasi totale d’interactions sociales qui elle-même anesthésie les débats, réduit les contestations et appauvrit la pensée, alors dans le néant de la solitude, l’écho de sa propre idée résonne puis rebondit indéfiniment sur les parois de son cervelet comme un oeuf mollet dans un saladier.
La science ne ment jamais : si le confinement persiste, il nous faudra plus de compotes.
{Extrait} Chroniques du Royaume