Dimanche, ma reine
La grand-mère a les paupières qui sautent et les sourcils qui sautent et la bouche qui souffle. Elle mâche de l’air, dans son visage des bâtons de vent. Sa tête roule sur le dossier du fauteuil. Ses mains dansent sous la serviette de bain qui lui sert de couverture. Il n’y a que ses cheveux qui ne bougent pas, qui restent à leur place, gris et blancs. Les oreilles de la grand-mère semblent encore plus grandes quand elles dorment. La grand-mère rêve, agitée, elle souffle les rêves dans ses joues, comme un chien qui course un lapin et aboie allongé.
Qui c’est qui m’a appelée ? Non personne. La grand-mère se réveille et pose une question, elle parle seule et se répond. Elle a les deux yeux qui volent au plafond. La tête basculée en arrière, elle scanne le plafond en spasmes de pupilles, elle pose sa question. Elle dit C’est qui qui est là ? Je réponds, C’est moi. Elle me demande, C’est toi ? Ses yeux chutent du plafond à mon corps là debout devant elle. La grand-mère se lève presque vite, vite à sa façon, coudes à la perpendiculaire, deux mains agrippées aux accoudoirs, genoux pliés, elle dit, Tu es arrivée quand ? Je lui réponds, Hier soir mamie, on s’est déjà vues. Ah ? Tu veux quelque chose mamie ? Et beh te dire bonjour, te faire le bisou. Mais on s’est vues mamie. Ah bon. Tu es arrivée quand ? Hier soir mamie. Je l’ai mis où mon carnet, j’espère que je n’ai pas écrit n’importe quoi dans mon carnet. Oh bon sang mais je l’ai mis où mon carnet. Je réponds, Tu ne l’as pas pris ton carnet mamie, tu n’as que tes mots mêlés ici. Ah bon. On va aller manger quelque part hein ? elle dit, enveloppée dans sa robe de chambre en laine rose, les cheveux hirsutes. On va manger ici mamie, on va se faire une belle table dans le jardin, toutes les deux. D’accord, elle dit.
Parfois, la petite-fille se disait qu’elle voulait ranger la maison, qu’elle voulait nettoyer la maison, qu’elle voulait ranger le petit tabouret à côté du canapé qui ne servait à rien et qu’elle voulait aussi ranger la couette en boule sur le canapé qui ne servait plus à personne.
Elle voulait plier les couvertures, les ranger, les mettre dans le placard pour ne plus les voir. Quand c’est dans les placards, c’est rangé. C’etait sa façon de penser. Et parfois, comme c’était dimanche, elle voulait aussi ranger la grand-mère. Elle voulait ranger la grand-mère et nettoyer la grand-mère, elle voulait nettoyer la grand-mère parce qu’elle avait des morceaux de soupe autour de la bouche et sur sa robe de chambre. Oui, parfois, des dimanches comme ce jour-là, elle voulait ranger la grand-mère, l’arranger, la mettre ailleurs, ailleurs non pas pour ne plus la voir, mais pour que tout soit bien rangé. Dans l’ordre.