Gloutonnerie de la beauté
{Canada}
Dans cette partie du monde, les arbres ont remplacé les panneaux de signalisation et la gracieuse voix du GPS est réduite au silence. A l’entrée du « petit chemin privé dans la forêt », seule indication fiable qu’on nous avait donnée, le temps s’arrête alors. Il fait désormais nuit noire, des guirlandes de lumières sont suspendues autour du porche de la cabane. C’est ici que commence notre déconnection au monde tel qu’on le connaissait.
Il n’y a ni proche voisin, ni route qui gronde, ni bruit qui empoisonne. Il n’y a que l’écho du vent dans les feuilles des grands sapins et la plainte du tapis de branchage qui s’étoffe dans un murmure sourd. L’hiver est long dans ce coin du monde.
Le ciel n’est ni menaçant, ni bienveillant, il est juste là, au-dessus de nos têtes, un peu plus bas que d’habitude. Maladroitement emmitouflées telles des touristes qui auraient étudié la météo de la région avec une minutie appliquée, nous sortons faire un feu de camps. Sur plus d’une quinzaine de mètres, il y a des bûches et des morceaux de bois de différentes tailles et formes, des troncs d’arbres minces et des épaves de portes. L’hiver est long dans ce coin du monde. On ouvre le loquet de la porte en grillage souple de la cheminée extérieure et on y enfourne une bûche ainsi que quelques brindilles. Il fait 0°, le peu de vent qui souffle nous anesthésie le visage et les mains. Le feu commence à prendre. Harponnées aux grilles du brasero avec la même concentration que derrière les clôtures d’un terrain de baseball, nos articulations rouillées et douloureuses se ramollissent. La fumée se hisse dans le conduit en ferraille et finit par se confondre dans la couleur du ciel. Le gris devient gris clair. C’est notre premier feu de camps Canadien.
{Extrait} Revue Bouts du Monde