Le baiser volé des papillons

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Je me suis glissée dans le lit de septembre, j’ai soulevé le linge cireux avec délicatesse comme on relève la séduisante mèche de celle qu’on veut convaincre. L’ultime geste, ma dernière chance.

Avant de se donner à moi, septembre exigea que j’enferme les récents démons dans des placards et verrouille la baraque avant de déposer les clés sous un pot de fleurs. Elle ordonna que mes yeux soient rivés sur elle, sur sa peau de blé, ses contorsions, la cambrure de ses reins, le plissement de sa bouche, le roulement de ses pupilles, sa boucle de cheveux sur le front, cicatrice d’une saison qui s’achève. Lorsque pour la première fois elle me tendit son cou pâle, transie d’excitation, je brûlais d’envie d’apaiser la vibration du tambour contre sa peau étirée. En m’offrant sa musique, elle se dévoilait à moi avec la confiance des vieilles connaissances et l’aveuglement des nouveaux compagnons. Une caresse après l’autre, je tentais d’apprivoiser mon amante désirable et sauvage.

Septembre me murmurait des poèmes en me suppliant, en échange, de lui chuchoter des vers qui n’étaient pas de moi. Les rimes d’automne, les sonnets de l’hiver. Je lui récitais alors la poésie des acharnés, celle qui baptise la rétine, réchauffe les mains et tiédit le bas du ventre. Puisqu’elle signait sa fougue de deux rangées de dents sur mon pouls palpitant, je voulus à mon tour lui infliger des crampes d’ardeur et, symboles de notre symbiose, des morsures dans le coeur. Pour qu’elle ne m’oublie jamais.
Est-ce que la tiédeur peut brûler ?

{Extrait « Le baiser volé des papillons », troisième partie des Chroniques du Royaume.}

La nouvelle édition du livre est disponible ici.

Elisa Routa

Journaliste et écrivaine, Elisa Routa publie depuis plus de 12 ans ses portraits, essais et récits d'aventures dans des magazines francophones et internationaux. Elle sort son premier recueil de chroniques en 2020 aux éditions Tellement. 

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